Les musées peuvent être rigolos
Sexe, seins, pénis… Voilà, maintenant, je suis sûr d’avoir votre attention. Huit secondes, c’est le temps d’attention moyen d’un être humain aujourd’hui. Nous sommes devenus des éjaculateurs précoces de la pensée. Ça laisse dubitatif quant à l’intérêt d’écrire une chronique aussi longue que les soins palliatifs du petit Enzo.
D’ailleurs, en parlant de gosses, j’ai un souvenir d’enfance qui m’est revenu en plein visage l’autre jour. C’est lui qui m’a donné l’idée de cette chronique. Quand j’étais petit, j’étais curieux. Je souhaitais apprendre constamment. C’était une envie frénétique : apprendre de nouvelles choses que j’avais choisies de découvrir. Je pense que ce fut la naissance de ma propre curiosité. Elle était déjà blasée et anticonformiste de toutes ces choses qu’on essayait de nous apprendre à l’école.
Par exemple, un enfant qui se passionne pour le monde marin, c’est formidable. Ça vient de lui ! Cet enfant concentre son attention pour un sujet qu’il affectionne. On ne lui a pas dit ce qu’il devait retenir, il le fait par plaisir. Je trouve que parfois, l’école, sous couvert d’un programme, a tendance à faire l’opposé. « Vous lirez ce livre », « nous étudierons telle période de l’histoire », « le cours portera sur ce courant artistique ». Cependant, la curiosité ne se programme pas. Elle doit être suscitée.
C’est pour ces raisons qu’en dehors de l’école, j’essayais de nourrir ma curiosité comme je pouvais. Il faut dire que celle-ci avait faim de connaissances et criait famine. Mais comment fait-on pour nourrir une curiosité ? Il n’existe aucun livre de recettes à ce sujet. Où devons-nous chercher ?
À cette époque, très peu de familles avaient un accès Internet à la maison. Si je souhaitais découvrir de nouvelles choses, il y avait bien les quelques bouquins qui traînaient à la maison, et il y avait aussi cette encyclopédie sur logiciel : Encarta. C’était une sorte de Wikipédia très limité, mais ce dernier permettait au commun des mortels de découvrir le monde et son histoire sans bouger de chez soi. C’est presque inconcevable de dire cette phrase aujourd’hui ! Ça fait un peu boomer… Je suis né à un autre siècle, et j’en prends conscience un peu plus chaque jour. Mais je vous parle d’un temps où le mot « réseau social » n’existait pas. Une époque où quand on était perdu, on demandait son chemin aux passants. Un moment de l’histoire où l’on écoutait les autres et où on les croyait, car il n’y avait pas moyen de vérifier leurs dires. Le mot « Googler » n’était pas encore rentré dans le langage courant. Ce qui était courant, c’était de se dire que le monde devait être grand et que « tout ce que je ne sais pas est ma limite ». D’ailleurs, maintenant que j’ai accès 24 heures sur 24 à Internet, je ressens moins ce besoin de tout connaître de l’univers qui m’entoure.
Avez-vous relu le titre de cet article et vous êtes-vous demandé « c’est quoi le rapport avec les musées ? ». Je vais y venir, petit impatient. Parlons culture. Consolez-vous en vous disant qu’il y a le mot « cul » dans culture. Je dis ça pour maintenir un peu votre attention.
J’ai grandi dans une famille pour qui la culture n’était pas forcément la priorité. Je ne les blâme pas. Je n’ai jamais manqué de rien. Pourquoi devrions-nous penser aux musées quand on n’a pas de quoi manger ? C’est le ventre plein qu’on se remplit la cervelle.
Je pense que les deux tiers du tiers-monde n’en ont rien à secouer de l’art moderne. Pour eux, l’art de vivre, ce n’est pas une tête bien remplie à la Magritte. Chez eux, survivre est un art. Et puis, il faut dire que la majorité de leurs œuvres sont exposées dans des musées britanniques…
Selon l’Office fédéral de la Culture, les Suisses visitent chaque année entre trois et cinq musées en moyenne. Instinctivement, vous essayez maintenant de vous rappeler des musées que vous avez visité cette année ? Avez-vous d’ailleurs visité les musées de votre ville ? Notre beau pays compte d’ailleurs 1081 musées, et cela en comptant le musée du Bourreau (Bâle-Campagne) ou l’excellent Musée des Grenouilles d’Estavayer-le-Lac (Fribourg).
Quand on visitait un musée en famille, mon père faisait toujours des commentaires rigolos sur les œuvres. C’est une des raisons qui a fait que j’ai commencé à bien aimer les musées. Avec du recul (mais pas trop, car sinon je ne vais plus réussir à taper sur mon clavier), je me dis qu’il faut un certain don d’observation pour susciter le rire devant une sculpture ou un tableau. Peut-être que les érudits nous snobaient en nous voyant rigoler, mais on s’en foutait du regard des autres. Et ces moments m’ont permis de me forger une culture, mais aussi un sens de l’humour.
La preuve en est que, il y a quelques années, j’ai visité (seul) le musée des Beaux-Arts de Lyon. J’ai partagé mes propres commentaires sur les œuvres via les réseaux sociaux. C’était ma façon de partager cette visite avec quelqu’un. J’ai retrouvé pour vous ces commentaires que j’avais posté sous les photos.
Non, non, papa, ne me frappe pas !
Pas de bras, pas de chocolat. Bientôt les jeux paralympiques…
Ce soir, je lui mets deux doigts.
Quand tes potes n’ont pas la tête sur les épaules.
Quand tu te refais la pub pour un gel douche.
Sympa le sac de couchage.
Visiter les musées est essentiel. C’est quand on commence à oublier son passé que les choses dérapent. Demandez l’avis à une personne atteinte d’Alzheimer… Quand on oublie l’histoire, on réécrit sans cesse la même page.
Plus le souvenir des guerres du siècle passé s’efface, plus le fascisme monte en Europe. La connaissance, c’est le pouvoir. C’est pour cela que dans certains pays, des tyrans ont peur que des enfants apprennent des choses ; donc ils préfèrent détruire les écoles et décapiter des profs. L’agenda culturel et les pages mortuaires sont alors réunies sur une même feuille.
À cause des mouvements Woke et compagnie (ça ferait un bon titre pour un prochain film Disney), on en vient à vouloir supprimer des pans entiers de l’histoire pour ne froisser personne. Mais l’histoire n’a-t-elle pas pour mission de nous rappeler ce qui s’est passé pour ne pas que ça se reproduise ? Je repense à ce sketch de Ricky Gervais où il s’en prend à la culture woke qui déboulonne des statues. Les mèches bleues s’en prennent qu’aux statues et non pas aux infrastructures que ces hommes qu’ils dénoncent ont créées (par exemple les hôpitaux). Et Ricky Gervais finit par dire, qu’il ne faudrait pas retirer les statues, mais plutôt les améliorer. Sur le devant de celles-ci, on pourrait alors lire par exemple « Philanthrope, a œuvré pour la ville et pédophile ».
Bref. Qu’on le prenne avec sérieux ou à la légère, visiter un musée est un acte héroïque faisant du bien à la curiosité qui sommeille en vous. Quand vous en ressortirez, vous n’aurez sûrement pas tout retenu, mais vous aurez fait un pas vers la connaissance, vers l’écoute de notre passé.
L’inspiration se trouve dans les musées, une muse poétique et gardienne du temps. J’ai 32 ans et je dois vous avouer une chose : quand je passe la porte d’un musée, l’enfant intérieur qui me tient la main se réjouit de dire des trucs rigolos sur les œuvres du musée qu’on s’apprête à voir.
Chronique publiée initialement sur Slash Culture.