Confinement: utopie ou dystopie?

Tic. Tac. Tu entends le bruit de l’horloge comme jamais tu ne l’avais entendu. Tu cherches à t’occuper pour éviter de te perdre dans tes pensées.

Après avoir rangé l’appartement et dépoussiéré le moindre centimètre carré de ta prison temporaire, tu te surprends à faire des choses que tu n’aurais jamais faites un jour de congé: tu fais le ménage, tu jardines, tu nettoies ta terrasse, tu ranges ta cave à vin (mais bon sang, qu’est-ce que tu as avec le rangement ces jours?).

Tu finis par rentrer dans ton logement et tu entends de nouveau ce tic tac incessant.

Le silence est un bruit assourdissant. Ton regard ère dans le vide. Avachi sur le canapé (mais pas trop, car il faut se respecter), un élan soudain et désordonné te parcourt. Tel cet homme à la piscine de Béthesda, tu te lèves et marches en direction de la cuisine. Le podomètre de ton téléphone enregistre ses premiers pas de la journée.

Arrivé à ton but, tu ne sais que faire… Tu es comme cet homme plein de promesses qui ne va jamais au bout des choses. Dans la foulée, tu te fais couler un café et tu t’allumes une clope. Tu as lu quelque part que la nicotine serait bonne pour lutter contre le Covid-19, alors tu ne culpabilises pas. Mieux encore, tu t’auto-prescris une ordonnance. Ta clope est un médicament, à prendre matin, midi et soir.

Dehors, les oiseaux chantent. Dédaigneux, ils vivent leurs vies, sans se soucier de l’économie ou du confinement. Ainsi, l’Homme se retrouve en cage et les animaux sauvages les observent avec le même regard condescendant que celui des visiteurs de zoo.

On dit aujourd’hui que la nature reprend ses droits. Et nous, quand est-ce qu’on reprend les nôtres? Je ne parle pas de notre vie stupide, où pris par le temps, on n’oublie de le prendre. Depuis l’enfance, on nous martèle qu’il faut travailler pour gagner sa vie. « Gagner sa vie », je n’aime pas cette expression. Comment peut-on gagner sa vie en se tuant à la tâche? On ne devrait pas gagner sa vie, mais plutôt chercher à la vivre pleinement.

Les médias, les politiques, le peuple… tous sont aussi ignares que le premier chinois mangeur de pangolins. Le côté anxiogène des médias (avec BFM en tête) permet de contenir un peuple serviable et dévoué. La peur est le meilleur levier marketing. Je sais de quoi je parle, j’ai dirigé des campagnes publicitaires pour des marques du secteur de la sécurité. Si je te dis que tu es en danger, chiffres à l’appui, et que je te maintiens dans ce contexte de terreur ambiante, je sais que tu finiras par acheter mes merdes… ou dans le cas présent, à consommer encore plus d’informations. Tu bois ainsi leurs paroles comme le litre et demi d’eau que tu te devrais t’enfiler par jour.

Privilégié, car je possède un jardin (et je vous emmerde), je m’assois et je bois mon café en admirant la nature printanière qui verdoie. Je jette alors mon mégot goudronneux dans le cendrier près de moi. Une abeille se pose alors à quelques centimètres de mon bras. Elle me regarde comme si elle souhaitait me dire quelque chose : 

– Parle de nous, John, s’il te plaît.

– Pardon?

– Le pardon viendra plus tard.

Cette abeille a un humour cynique. Je questionne alors l’apoïde:

– Mais que veux-tu que je fasse?

– Nous vivons un instant malheureux, tous. Mais mes sœurs et moi sommes menacés d’extinction et nous n’avons aucun moyen de nous défendre. Tu peux en toucher un mot dans ta chronique? Nous n‘avons pas de pouce opposable et ça nous prendrait un temps considérable de rédiger un manifeste.

Je remarque que cette abeille avait un vocabulaire plus sophistiqué que bon nombre de mes congénères.

– Et tu aimerais que j’écrive quoi dans ma chronique, petite abeille?

– Prenez soin de nous comme de votre enfant. Ça ne sert à rien de partager une publication sur Facebook si vous détournez votre regard lorsque le problème est devant vos yeux. Arrêtez de mettre des produits chimiques partout. Ça nous fait mal. Comme vous, on tousse, on marche au ralenti, et on finit par y succomber.

– Mais on n’a pas le contrôle. Ce sont les entreprises qui vous font du mal. Nous, on n’y peut rien.

– Et qui les paient ces entreprises?

Notre silence, à l’abeille et moi, en disait long.

– Moi, j’ai perdu mes deux meilleures amies. Arrêtez de vouloir tout contrôler et laissez la nature faire ce qu’elle fait de mieux: nous faire vivre tous. Sans les pollinisateurs, les rendements agricoles mondiaux diminueraient de près d’un tiers. Comment allez-vous faire pour nourrir tout le monde dans le futur, si vous avez déjà du mal à le faire aujourd’hui?

Cette abeille me laissait penseur et perplexe. Je continuais de l’écouter:  

– Vous pensez à l’argent et au pouvoir. Mais est-ce qu’ils vous seront utiles lorsque vous verrez vos petits-enfants suffoquer et que vous ne pourrez racheter ni votre conscience ni vos erreurs? 

– Je peux vous poser une question? demandais-je avec un ton mielleux.

– Vous venez de le faire à l’instant, mais oui, allez-y, je vous écoute.

– Est-ce que cette discussion est réelle ou est-ce dans ma tête?

– Bien sûr que ça se passe dans ta tête, John, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n’est pas réel?

L’abeille cessa alors de me fixer et prit son envol.

Vous venez de lire l’alarmante première déclaration d’une abeille au monde entier. Ce n’est pas Maya l’abeille, cette médiatico-cocaïnomane actrice de seconde zone qui prendrait de son temps pour évoquer et dénoncer un tel problème.

Quand vous aurez terminé vos tâches ménagères, prenez un instant et asseyez-vous où bon vous semble. Ouvrez-vous une bouteille de vin et prenez un peu de recul (mais pas trop parce que vous allez tomber de votre chaise), puis posez-vous ces questions: lorsque je sortirais de ce confinement, quelle version de moi-même ai-je envie de montrer au monde? Vais-je reprendre ma vie là où je l’ai laissé ou vais-je avancer (un peu pour commencer) et faire un pas en avant?

Je ne vous demande pas de devenir végétarien, je ne suis pas fou à ce point non plus. Je parle avant tout d’une prise de conscience globale. Les grandes épidémies de ces derniers siècles ont toutes comme facteur commun un dérèglement de la biodiversité (déplacement de la faune ou introduction de celle-ci dans nos modes de vie #pangolin). Sauf si tu es consanguin ayant fait une classe de Segpa, il est facile de mettre en corrélation les épidémies et notre mode de vie (ou survie actuellement).

Ce confinement sans précédent n’est-il pas le bon moment pour prendre conscience de qui vous êtes? De penser par vous-même pour enfin vous affirmer.

Prenez soin de vous et de vos proches. Et puis, si vous croisez une abeille, observez-la un instant et passez-lui le bonjour de ma part.