Le silence

Il y a les dimanches pluvieux et les dimanches heureux. C’est le jour d’inactivité absolu depuis qu’une secte mondiale ait décrété que le « septième jour sera dédié au repos ».

Les plus flegmatiques idolâtreront cette journée, les hyperactifs auront des convulsions à ne plus pouvoir rester sur place. On a peut-être mal interprété la notion de « repos ». Pourquoi ne pouvons-nous pas envisager que Dieu ait pris une cuite le samedi soir, après sa semaine de labeur à faire des heures sup’ sans reconnaissance ? Après tout, pour que son sang soit du vin, Dieu doit être une belle éponge. Dieu n’est qu’un poivrot picolant pour oublier ses erreurs de la semaine. Et nous, nous n’avons fait qu’imiter le tout-puissant.

Le week-end prochain, quand vous sortirez, vous pourrez vous dire « je ne peux aller contre la volonté de Dieu, ressers-moi un demi! ».

Outre son origine, cette journée jugée « divine » par beaucoup est aussi l’aubaine pour rattraper son retard sur les autres… Non pas en s’instruisant ou en sillonnant les allées des musées, mais bien en rattrapant son retard dans Game of Thrones, The Walking Dead ou autre série où des profiteurs usent de votre faiblesse dominicale pour faire du profit.

Il y a aussi les personnes qui pratiquent une activité une fois par semaine. Du bricoleur du dimanche au sportif du dimanche, on sait que l’heure qui sera prise à courir en ville ou à essayer de monter une étagère sera inutile et désespérément perdue. Je n’ai rien contre eux, je fais du sport trois fois par semaine et je monte une armoise Ikea avec moins de temps qu’il ne t’en faut pour prononcer correctement son nom en suédois. Les joggeurs courent-ils pour rattraper le temps qu’ils ont perdu toute la semaine dans les bouchons et pendant des réunions improductives ? Ils mangent tout un tas de junk food la semaine et se privent le week-end en courant cinq kilomètres dans une ville aussi polluée que les poumons d’un cancéreux. C’est avant tout pour se donner bonne figure et bonne conscience. On a ainsi la sensation d’être désirable et bien dans sa peau.

Pour certains, le dimanche est une longue journée. Ce n’est pas mon cas, je ne la vis qu’à moitié. Avant midi, c’est encore samedi. Je suis au lit, iPhone en mode avion, le monde pourrait bien imploser que je serai toujours sur messagerie, aux abonnés absents.

Tu te lèves avec les yeux entrouverts et dans la bouche un goût amer de la soirée de la veille. T’as soif, car l’alcool a déshydraté ton corps. T’as mal à la tête, car ton corps est déshydraté. Cercle vertueux, mais vicieux. Tu somnoles sur ton canapé comme un narcoleptique. T’as à la fois envie de tout et envie de rien. Bouger ou rester là, c’est tout ou rien.

Tu sors avec des habits «confortables», mais confortable est tout le contraire de ce que tu fais la semaine. La mode est en suspens le dimanche. Le dimanche, tu perds ton bon goût. Tu échanges ton costume contre un training et une paire de sneakers. Et c’est toujours quand tu sors pour aller à la boulangerie que tu croises ton ex. Elle est bien sûr accompagnée de son nouveau copain, qui lui est habillé le dimanche comme en semaine. Ce doit être le genre de mec qui garde ses chaussettes de marque pour baiser. Et puis, je me dis intérieurement «on n’aurait pas pu se voir hier ? » J’étais au top, un vrai hispter. Hier, j’étais lui, mais demain il ne sera pas moi.

Le dimanche, les gens traînent. Ils font tout au ralenti. Quand ils marchent près du lac, ils mettent 30 minutes à remonter les quais qu’ils dévalent en 10 la semaine. Ils parlent en prenant le temps d’articuler, on s’écoute. Du moins, c’est l’image qu’on donne. On se sent détendu, plus la journée touche à sa fin et plus on sent cette tension revenir. Cette sensation étrange d’un nouveau cycle. Bientôt, on se remettra à klaxonner dans les bouchons, à gueuler sur les autres automobilistes, à complimenter naïvement son chef de service sur « ses » nouvelles idées qu’il vous a pompé la semaine d’avant, à faire ses courses pressé par le chrono et à vous faire engueuler par une femme que vous décevez depuis des années. Vous subissez tellement la semaine que c’est votre chien qui vous sort le soir.

Pour les optimistes, le dimanche marque la fin d’une semaine ; pour les pessimistes, cela marque le début de nouvelles emmerdes…