Entretien au coin du feu avec Dieu

Aujourd’hui, j’étais un peu perplexe à l’idée de rencontrer mon invité du jour. J’avais réussi, après de longs mois de persévérance, à décrocher une entrevue avec un personnage très, très controversé. Pour faire bonne impression, j’ai rangé mon appartement. Et oui, je recevais à domicile. Après tout, chacun est censé accueillir Dieu en soi, ou plutôt chez soi, en ce qui me concerne.

Dehors, il pleuvait des cordes. Appréciant ce doux vacarme climatique, j’entrouvris lentement ma fenêtre comme pour augmenter le volume de ma chaîne Hi-fi. En attendant mon invité, je relisais une dernière fois mes fiches. Malgré les ratures, je parvenais à retracer mon schéma de pensée.

Derrière ma porte, j’entendais une voix. Était-ce mon invité ? Je regardais par le judas et ne vis personne.

– Inventais-je des voix maintenant ? me dis-je alors.

C’est peut-être à cause de l’écriteau trônant devant chez moi : entrez sans frapper ou frapper sans entrer.

Après cinq bonnes minutes, on sonne à ma porte.

– Ah, cette fois, c’est la bonne.

J’ouvre et fais signe à mon visiteur d’entrer. Nous allâmes nous installer sur les fauteuils près du feu.

Après les salutations d’usage, je dis :

– Je ne vous imaginais pas du tout comme ça. En fait, les religions se sont toutes trompées.

– Et quelle image vous étiez-vous faite de moi ?

 Je ne sais pas, à vrai dire. Certains vous dépeignent comme un être lumineux, avec une longue barbe. D’autres vous imaginent gros et chauve. Et puis, il y en a même qui ne peuvent vous voir en peinture.

– Ma foi, chacun voit ce qu’il veut y voir, répondit mon intrigant invité.

– Mais je reste coi, tout de même. Je m’attendais à voir débarquer le Professeur Raoult, mais davantage porté par la bonté divine que par la chloroquine.

Mon invité haussa les épaules.

Avant qu’un silence s’installe, je renchéris :

– D’ailleurs, comment dois-je vous appeler pour l’interview ? Quel nom dois-je employer ?

– Tant que tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain, tout se passera bien.

– Parce qu’on se tutoie maintenant ?

Mon invité faisait la sourde oreille. À la bonne heure, me dis-je intérieurement. Puis, il sortit un paquet de cigarettes de sa veste, en alluma une, puis après mure réflexion, dit :

– Tu peux m’appeler Théo.

Comment avez-vous fait pour créer tout ce bordel de Dieu ?

– Je n’ai pas fait exprès. C’est la même expérience quand un connard va acheter une toile et de la peinture et pense pouvoir faire un chef-d’œuvre.

Après avoir poussé un « Ah! » d’acquiescement, je rétorque :

– C’est pour ça qu’on a des guerres et des injustices, aujourd’hui ?

– Non, là je n’y suis pour rien, c’est vous qui avez chié dans la colle. Par contre, pour le véganisme, l’analphabétisme et à peu près tout ce qui touche de près ou de loin à la carrière de Carla Bruni, malheureusement c’est un peu de ma faute.

– C’est donc à cause de vous le « c’est quelqu’un qui m’a dit ».

– Déso.

Question d’actualité, à présent. Pourquoi n’avez-vous pas réagi pour la Covid-19 ?

– Sous prétexte qu’un zoophile chinois est un peu trop affectif avec son pangolin, je devrais venir sur Terre et sauver vos culs de sales gosses hermétiques à toute forme d’affabilité ?

– Vous êtes bien venu pour cette interview ?

– Ouais, mais là c’est différent, on n’attend rien de moi et on ne me juge pas.

– Ce n’est pas faux.

Question suivante. Est-ce que le Paradis existe ?

– C’est comme être sourd au concert des Enfoirés. Tu es à un endroit où tu as la sensation de faire quelque chose de bien, mais avec l’avantage que cela ne perturbe pas tes sens.

– Et cet endroit merveilleux a un nom ?

Oui, mais je ne vous ne le dirais pas.

– Et pourquoi ?

– Ça reste mon jardin secret.

J’insistais :

– N’insistez pas, les voix du Seigneur sont impénétrables.

Dieu fit alors des petits cercles parfaits et voluptueux avec la fumée de sa cigarette.

– Tout ce que je peux vous dire, c’est que je reçois une lettre par semaine de Monsanto avec une proposition de sponsoring pour un naming du Jardin d’Eden.

Avec sa main de Dieu, Théo écrasa à présent sa cigarette dans le cendrier posé sur le petit guéridon près du fauteuil.

Avez-vous déjà tiré la queue du Diable ?

– Le Diable n’est que l’expression manichéenne d’un antagoniste aux antipodes de ma personne, dont les pulsions archaïques s’expriment à travers le vice et la vertu.

– Je crois qu’on va en perdre plusieurs sur cette phrase…

– J’avais oublié que tu avais un public d’illettrés. Pour faire simple, comment pourrait-on considérer l’existence du bien sans le mal ? Vous avez quatre heures. Ou toute votre vie.

 

Est-ce que l’Enfer c’est les autres ?

– Je ne sais pas, je n’ai pas lu ce livre de Raymond Aron.

– C’est de Jean-Paul Sartre ! Et après, on vient critiquer mes abonnés…

– Je le regarderai peut-être s’ils en font un film sur Netflix.

 

Pas besoin de gril, l’enfer c’est les autres.

Jean-Paul Sartre

Et pourquoi n’avez-vous pas pris l’image d’une femme ?

– C’est un drôle de paradoxe, mais les hommes seraient trop frustrés de savoir qu’une femme est à leur origine. Et ils vivent déjà avec un être qui se dit omniscient et au-dessus d’eux. On n’allait pas en rajouter…

Ça se tient, répondis-je alors.

 

Maintenant que je vous vois de mes propres yeux, je me dis que toutes les religions se sont fourvoyées.

– Attends, moi, c’est pour vous que je me suis adapté. Pour répandre l’amour, j’ai pris une image sympathique qui vous est familière. Vu comment vous chassiez la différence, j’ai préféré prendre mes précautions. Ce jour-là, j’aurai mieux fait de me coincer les parties génitales dans une porte.

– Nom de Dieu, surveillez votre langage, je vous prie !

– Excusez-moi, mais je ne supporte pas les religions. C’est un ramassis de conneries qui éloignent les gens de leur foi. Dans une biographie, on cherche toujours à retenir le sens profond d’un message, pas à apprendre par cœur, mot pour mot, le bouquin. Et faut voir la gueule du truc après les interprétations et les appropriations. Dieu fait si, Dieu fait ça. Et Dieu promet des terres, Dieu est contre le mariage gay et puis Dieu promet 72 verges.

– Verges ? Ce n’était pas 72 vierges ?

Dieu répondit :

– En tout cas, les mecs, après avoir déchanté, ils ont dû avoir sacrément mal au cul…

J’étais outré :

– Donc, vous n’aviez pas prédit les guerres de religion ? Quand on voit comment des gens se sont battus pour des pots de Nutella, vous auriez pu réfléchir cinq minutes avant de balancer votre truc.

– Comment aurais-je pu savoir que vous alliez vous taper sur la gueule pour savoir qui a le meilleur ami imaginaire ? Le plus drôle dans tout ça, c’est que vous vous battez pour défendre votre perso préféré, alors que c’est moi qui ai conçu le jeu. C’est comme la Horde et l’Alliance. Le vrai ennemi, finalement, c’est Blizzard.

– Attendez, parce que vous jouez à WOW ?

– Mais, oui. Et je twitche tous les mercredis sur ma chaîne…

– Ah non, pas de pub ici.

 

Booba ou Kaaris ?

– J’ai une terrible aversion pour le rap de ces deux garçons. Après tout, l’aigle ne vole pas avec les pigeons.

 

Cardinaux ou Klux Klux Klan ?

– Je ne peux choisir entre un séquestrateur d’enfants ou un séquestrateur de blacks. Ce n’est pas fun.

– Le vrai fun, ça serait qu’un cardinal noir séquestre un enfant blanc, qui deviendra plus tard un membre du Klux Klux Klan, qui voudra séquestrer un religieux et le punir pour son penchant envers les gamins prépubères.

– Ça, j’aime bien, il y a un petit côté Ouroboros.

 

Donner, donner, Dieu vous le rendra. Vrai ou faux ?

On s’attend vraiment au pire avec vos questions John Beck. Vous savez, moi je n’ai besoin de rien, je reste avant tout indulgent, donc gardez vos merdes pour vous. Une parole sympa, un Mars et ça repart.

 

Tu as des enfants ? Et si oui, sont-ils plutôt baptisés ou circoncis ?

– Mais vous fumez, monsieur !?

– Non merci, je ne veux pas de ta cigarette.

En s’allumant une énième cigarette, Dieu reprit :

– Je n’ai jamais dit à qui que ce soit de balancer de la flotte sur des bébés ou de leur couper le zboub. Vous avez de drôles de manières de vouloir me plaire.

Gabriel a-t-il transmis ta parole à Mahomet ? Es-tu vraiment le père de Jésus ?

– Déjà, il ne faut pas confondre identité divine et expression divine. Et puis, il faut arrêter de tout interpréter. Quand j’en démoule un ou que j’enfourne une pizza, vous n’allez pas courir du four au moulin ?

J’opine alors du bonnet.

– Pour la grotte de Hira, c’est pareil, je n’y suis pour rien. Gabriel était parti avec des potes faire de la spéléo. Ils ont visiblement plus picolé que spé… spéléoler, c’est ça qu’on dit ? De toute façon, ils savent faire que ça de leurs journées. Ils ont commencé à parler dans mon dos et à tourner mes propos en dérision. Il a fallu qu’un mec passe par-là, entende les aboiements de l’autre soulard et le truc était lancé.

– Ah ouais, ça t’as pas aidé. Et ton fils dans tout ça ?

Mon fils ? Mais, une bonne fois pour toutes, je n’ai pas de fils. Je suis stérile. Voilà, ça vous la coupe. J’ai peut-être couché avec cette marie-couche-toi-là, mais je ne suis certainement pas le père du gamin. Et quand j’ai vu ce qu’il était devenu, ça m’a fait de la peine. Heureusement que ce n’était pas moi le père, je ne l’aurai pas gardé.

Et Jésus divise les pains ? Il les a juste coupés en deux. Et Jésus sur l’eau. Il marche aussi bien sur l’eau que le petit Gregory ne sait nager dans la Vologne.

– Oh ! Ça envoie du lourd.

Avec Dieu, on se fait un check de la main.

 

Vous avez un nouveau message à faire passer à l’humanité ?

– Arrêtez de dégueuler dans mon dos quand tout va bien et dès qu’il vous arrive une merde, vous m’appelez à l’aide. Je ne gère pas le standard de SOS Suicide, moi.

Notre entrevue étant terminée, avec Théo, nous nous sommes levés.

– On se dit adieu ? demandai-je alors à mon invité ?

– Vu le thème de ta prochaine vidéo, je pense qu’on va très vite se revoir…

 

BIENTÔT UNE NOUVELLE CHRONIQUE D’UN ENFANT DÉSABUSÉ : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.