Sobriété dominicale

Après avoir chanté mille fois les louanges de l’ivresse, je m’attarde aujourd’hui sur son antipode, le Joker du Batman, le Moriarty de Sherlock Holmes : la sobriété.

Dimanche matin, je me réveille naturellement vers neuf heures, sans mal de crâne ni goût pâteux dans la bouche. Sensation inédite.

Je comprends un peu mieux les parents déjà debout et encore plus les enfants. On dit souvent : j’aimerais retrouver mon insouciance d’enfant, quand on était au taquet et qu’on se levait tôt pour aller jouer dehors. Ce n’était pas compliqué en fait, on était juste sobre à l’époque.

Aujourd’hui, j’ai  remplacé mon chocolat chaud de mes 8 ans par un café aussi long que l’espérance de vie du mec qui a récolté les grains de café.

Mon expresso en main, je m’installe un instant sur la terrasse et admire le Mont-Blanc. Je pense alors à ma plume qui me permet parfois t’atteindre les sommets :

– Je devrais peut-être écrire une chronique…

Alors que ma nymphe est encore dans les bras de Morphée, je décide d’aller nous chercher de quoi déjeuner. Je descends les escaliers et me retrouve dans mon coupé-sport, sans me soucier de mon état d’alcoolémie.

Born to be wild de Steppenwolf agite les haut-parleurs de mon véhicule. À la manière des mecs du clip de 1969, je parcours les rues de la ville avec le sourire aux lèvres. Né pour être sauvage ? Né pour être alcoolisé plutôt. Et oui, le dimanche appartient à ceux qui se lèvent. Pour ceux qui opèrent dans les bars le samedi soir, le dimanche est radicalement amputé. Et c’est une chirurgie irréversible et sans anesthésie.

Je vois alors un groupe de quatre cyclistes. Je hais les cyclistes. Le dimanche, c’est le jour du Seigneur et eux, se croyant certainement meilleurs, se lèvent tôt et vont pédaler comme des dératés. Ces êtres infects, obstacle dans mon avancée matinale, nous montrent leurs cuisses imberbes sous de cuistres tenues.

Ces sportifs du dimanche ne vont pas gâcher mon dimanche. En file indienne, l’un d’entre eux veut alors se mettre à côté de ses enfoirés de collègues.

Ayant plus de chevaux qu’une écurie sous le capot, je le bloque dans son élan en le dépassant tel un mustang. Je les balaie alors d’un vent violent et chaud, proche du sirocco. 

– Connard, dit l’un d’entre eux.

Je constate que mon blog est de plus en plus lu pour être complimenté de la sorte. Je le remercie pour cette reconnaissance et poursuis ma virée en direction de la boulangerie.

Dans la meilleure boulangerie de la région, je fais la queue en regardant la vitrine. Ouf, il reste encore pas mal de choix et il n’y a qu’un client devant moi.

La rombière qui me précédait a commandé et emporté sans toupet la moitié de ce qu’il restait. Cette femme, qui était aussi laide que vorace, ne voyait pas tous les efforts que j’avais faits pour arriver ici. Les petits pains au chocolat, les croissants moelleux… ils allaient tous être décimés par ce quintal au mélanome violacé.

Je me suis dit alors que les gens étaient partout les mêmes. Les connards égoïstes des soirées finissent un jour au l’autre par se retrouver dans une boulangerie à 9h du matin. Les mêmes visages, mais avec d’autres noms et d’autres convoitises.

Bien remonté, je lui aurai bien toussé sur son grain de beauté poilu pour qu’il attrape le Covid et l’emporte avec elle. Ainsi, j’aurai éradiqué une partie de la faim dans le monde.

Je comprends mieux ce que ça fait de récolter les miettes du gâteau. De savoir que des voisins allaient s’empiffrer dans leur jardin, pendant que chez moi, nous crierons famine sans jamais être entendus. Demain, c’est décidé, je ferai un don pour l’Afrique.

Je commande alors qui me paraît alors le plus appétissant et me dirige vers ma voiture en précisant cette vieille dame aussi fort que les cyclistes.

Sur la réserve, je me dirige alors vers la station-service. Avec la pompe à essence, je me suis amusé comme tous les demeurés à essayer d’arriver à CHF 50.00 tout rond. Ne me jugez pas, on passe le temps comme on peut.

Masque chirurgical sur le nez, je me dirige dans la station pour payer. Pour tous ceux qui auraient oublié à quoi ressemble une bouche, en voici une image.

Là, je m’en fous du client qui me précède, quoi que. Bouteille de Fanta en main, qu’il fit tomber à deux reprises, il ne portait pas de masque et avait l’air aussi frais que la bise matinale qui fait danser les feuilles des arbres.

En reprenant sa monnaie, celui-ci voulut déposer une gentillesse sur le comptoir :

– Bonne soirée, dit-il à la vendeuse de la station-service.

– Bonne journée, plutôt.

– Pour moi, la soirée n’est pas finie, répondit-il tout souriant.

Je repensais alors aux soirées que j’avais passées. Quand il est huit heures du matin et qu’on va chercher une dernière bière dans le kiosque déjà (ou encore) ouvert, pendant que d’autres personnes commandent leur café et le journal du matin, on se sent un peu sale, mais l’alcool nous murmure une énième fois à l’oreille qu’on est magnifique, alors ça passe. Les lève-tôt et les couche-tard se croisent dans les couloirs du temps.

En rentrant, je me pose avec un café et un croissant sur la terrasse et repense à ce que j’avais dit moins d’une heure auparavant :

– Je devrais peut-être écrire une chronique…