Les salles de cinéma

Je suis sombre, rafraîchissante et on prend plaisir à venir me voir ? Qui suis-je ? Non, je ne suis pas une bière ambrée ou une prostituée à la peau mate. Je suis le sujet de cet article, je suis une salle de cinéma.

Le cinéma, également appelé le Septième Art, puisqu’il est logiquement arrivé après les six premiers Arts que sont : la sculpture/architecture ; le dessin ; la peinture ; la musique ; la danse et la littérature. Le cinéma sera le thème de cette chronique un peu spéciale. Au passage, vous remarquerez que parmi les soi-disant 7 Arts, un seul est « tout public », non élitiste et relativement jeune.

Tout d’abord un petit point historique. Je ne suis pas là pour vous donner un cours sur l’histoire du cinéma, Wikipedia fait ça mieux que moi. Aux débuts du cinéma en France, ce nouveau moyen de divertissement était surtout plébiscité par les classes populaires (ne pouvant certainement se payer le luxe d’aller au théâtre) et boycotté par la bourgeoisie. Moyen d’information à grande échelle pendant la Grande Guerre, le cinéma a tenu un rôle important le siècle dernier. Aujourd’hui, on le relègue à un média de divertissement, un luxe que certains ne peuvent se payer à voir les places à 15-20€ de certains complexes (plus si populaire que ça…).

Si je vous raconte tout cela, c’est que le week-end dernier je suis allé illuminer ma soirée en allant m’enfermer deux heures dans une salle obscure, ce lieu de villégiature pour jeunes ados prépubères se découvrant une attirance latente pour le sexe opposé m’a intrigué.

Outre les places à 15€ et le pop-corn et les boissons tout aussi chers (si ce n’est plus), je me suis dit que ce lieu de rencontre était toujours prisé et à la mode, malgré la mise à mal que subit l’industrie depuis l’arrivée de la télévision (et sa VOD aujourd’hui) puis d’Internet et ses pirates du Torrent. 

Les salles de cinéma sont comme la littérature de Stendhal, en rouge et noir. Vous savez pourquoi cette couleur ? Les sièges de cinéma sont rouges, car le cinéma est le prolongement logique du théâtre. Or, la couleur emblématique du théâtre est le rouge, car cette couleur violente représente la catharsis, à savoir l’épuration des passions par le moyen de la représentation dramaturgique plutôt que de les laisser éclater dans la vie réelle. Donc si c’est rouge, c’est pas seulement pour faire joli, c’est aussi pour vous alléger l’esprit et vous faire prendre du bon temps (selon Aristote).

En parlant de ça (du bon temps, pas d’Aristote), combien de couples sont allés au cinéma pour s’installer dans un coin à l’abri des regards et faire des choses dignes d’un film classé X ? Et c’est sans compter sur le classique « resto-ciné » (ou McDo-ciné pour les radins) pour espérer pouvoir emballer la belle en fin de soirée, grâce à la technique qui consiste à se rapprocher de sa promise (d’un soir ou d’une vie) en passant son bras au-dessus de son épaule dans la pénombre. Le beauf dans toute sa splendeur.

La France compte 5’482 salles pour 1’079’000 fauteuils. Vous avez donc une chance sur 1’079’000 de tomber sur le fauteuil mal fixé qui fait du bruit. Je ne sais pas vous, mais il est toujours pour moi ce fauteuil-là ! Le placement dans la salle n’est pas anodin. Il semblerait que selon sa classe sociale, on s’assiérait à telle ou telle place. Dans les premières rangées, on trouverait les CSP+. Plus on se recule vers l’arrière et plus on dégringole dans l’échelle sociale. À croire que le jeune Kévin au RSA depuis six ans n’a pas à être fier d’être au dernier rang (à l’école il était déjà au dernier rang et dernier de la classe). Il y a néanmoins quelques exceptions. Il paraîtrait que les cinéphiles (et les malvoyants) choisiraient eux aussi les premiers rangs, pour pouvoir capter toutes les subtilités du film.

Il est aussi intéressant de voir avec qui on vient au cinéma. Il y a des couples, des bandes d’amis (souvent à trois ou quatre), des familles et des personnes seules. J’ai remarqué qu’il y avait de plus en plus de personnes seules dans les salles de cinéma. Est-ce lié à nos modes de vie de célibataires indépendants qui s’assument ? Ou alors est-ce par solitude ? Ou encore juste pour aller voir un film qui nous plaît sans avoir à quémander la présence d’un ami ou d’une sœur ? Quoi qu’il en soit, que nous soyons seuls ou à plusieurs, nous partageons pendant un instant notre amour du cinéma. Un moment de relâchement dans le quotidien, loin des bouchons, des disputes et des impôts à payer.

Que serait le cinéma sans la publicité ? Certainement au même stade que sont tous les projets artistiques sans source de financement. Mort-nés. On la critique, on la regarde d’un œil (puisque le second œil est rivé sur le smartphone ), parfois elle nous fait rire (Beee Fruiiit !). Elle fait commencer les films avec 15 minutes de retard, mais elle est essentielle pour financer l’industrie (sinon les places seraient cinq fois plus chères). Et ce n’est pas le petit Mineur qui vous dira le contraire. Ce petit personnage à la fossile, digne d’un communiste, on le connaît tous. Il a été créé par Albert Champeaux et il est inspiré d’un dessin de Lucien Jonas. Lançant son pic dans une cible, le Petit Mineur incarne la pertinence du cinéma publicitaire comme moyen de toucher sa cible (c’est le média où la mémorisation est la plus importante). Le décor et le personnage du Petit Mineur font explicitement référence au nom de Jean Mineur et à l’univers de son enfance, les mines du nord de la France.

En attendant que le film commence, je me suis souvenu du premier film que j’ai vu au cinéma. Entre deux pop-corn, je dégustai cette madeleine de Proust. Ce fut La Planète au Trésor, que j’ai vu durant l’hiver 2002. Je l’ai d’ailleurs regardé deux fois la même année. La première fois en famille puis en sortie scolaire. Il y a des films qui nous marquent, comme le premier film que l’on voit avec sa vraie première petite amie. On se sent grand, on se sent important. Inoubliable. Enfoui quelque part dans notre lobe temporel des années après.

Certainement pour cela que l’on a qualifié le cinéma d’Art. Il a ce pouvoir de nous transmettre des émotions. Qui n’a pas pleuré en voyant La ligne Verte ? Qui n’a pas sursauté devant Scream ? Je me fais peut-être des films en disant cela, mais le cinéma a fait plus de bien en un siècle que la guerre n’a fait de ravage. Il est plus facile de détruire des vies que de détruire des rêves.